dimanche 3 mars 2013

Le fiasco de l'hôpital sud-francilien : un article-interview du JDD

Voici un article de l'interview d'Alain Verret, ancien directeur de l'hôpital d'Evry-Corbeil, publié dans le Journal du Dimanche daté du 3 mars et où il dénonce le fiasco de l'hôpital sud-francilien. Notamment la politique aberrante du partenariat public-privé, (voulu par le gouvernement Sarkozy, mais aussi par les élus locaux comme Dassault et Valls),  qui fait la part belle aux promoteurs immobiliers qui, eux, touchent le pactole. Cet hôpital est un vrai gouffre financier pour les collectivités locales. Mal conçu,  il comptait plus de 7000 mal-façons lors de sa livraison ; sans parler de la sous-utilisation chronique des services   ! Un article donc intéressant à lire. 

"L’hôpital d’Évry est un fiasco…"

INTERVIEW - Alain Verret, ancien directeur de l’hôpital d’Évry-Corbeil, dénonce la situation ubuesque de cet établissement sud-francilien. Ruineux, pharaonique et sous-utilisé dans un contexte de crise hospitalière.
Hôpital d'Evry  
Paru dans leJDD
Les femmes de ménage et les laborantins ont protesté, vendredi, au Centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes, contre le plan de rigueur imposé par la direction. (Bernard Bisson/JDD)
"Un être humain ne peut pas nettoyer une surface hospitalière de 800 m2 en désinfectant les lits, les murs. On a l’impression d’être des robots dans un camp de travail." Au Centre hospitalier sud-francilien (CHSF), situé à Corbeil-Essonnes, dans l’Essonne, les femmes de ménage se rebellent. Plombé par un loyer annuel de 46 millions d’euros dû à la société Eiffage - qui a construit l’hôpital dans le cadre d’un très controversé partenariat public-privé (PPP) -, le déficit du gigantesque établissement ouvert début 2012 se creuse. Résultat, un plan de retour à l’équilibre financier avec des suppressions de postes contestées par les personnels. Alors que Claude Évin, patron de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, veut renégocier certains points du bail de trente ans conclu avec Eiffage, Alain Verret, un des anciens patrons du CHSF, dévoile au JDD les coulisses d’un fiasco politique autant que financier.

Des emplois vont être supprimés au Centre hospitalier sud-francilien…
C’était inévitable. L’histoire de cet hôpital est celle d’un fiasco annoncé, celle d’une somme d’erreurs politiques majeures. L’établissement est mis en faillite par son loyer. Chaque année, il doit payer une somme énorme à Eiffage. Le choix, fait en 2006, de nouer un partenariat public-privé avec ce groupe de BTP pour financer sa construction et sa maintenance est un "péché originel" dont les personnels de l’hôpital et les contribuables n’ont pas fini de payer les conséquences.

Pourquoi avez-vous démissionné fin août 2011?
Quand j’ai été nommé en 2009 à la tête des hôpitaux d’Évry et de Corbeil, qui avaient déjà fusionné administrativement mais pas encore géographiquement, on m’a donné une double mission : remettre de l’ordre dans leurs finances et assurer le déménagement vers le nouvel hôpital. J’ai accompli la première partie de ma tâche en redressant les comptes qui étaient à l’excédent en 2010. Pas la seconde…

Pour quelles raisons?
Rien à dire sur la structure du bâtiment tout juste sorti de terre, c’est la partie technique qui n’était pas au niveau. Le système d’alimentation en eau et le système électrique étaient défaillants. Je n’avais jamais vu un travail aussi mal fait de toute ma carrière hospitalière. Au total, 7.000 malfaçons ont été constatées par les huissiers. Exigeant une sécurité optimale pour les malades et qu’Eiffage finisse son travail, à partir de 2011, j’ai refusé d’obtempérer à l’injonction de mes tutelles de déménager.

«L’établissement est mis en faillite par son loyer»
Qu’aviez-vous en tête?
J’estimais qu’il fallait négocier avec Eiffage avant de déménager, qu’une fois dans les nouveaux locaux, on perdrait toute marge de manoeuvre. En étudiant de près le dossier avec des avocats, il était apparu que le contrat avait été mal ficelé. Nous avions dû commencer à payer le loyer avant même que l’hôpital soit terminé! Nous n’avions aucun moyen de diminuer le montant des mensualités! Le ministère de l’époque a fait une expérimentation grandeur nature des PPP en matière hospitalière qui se révélait désastreuse.

Pourquoi avez-vous pris votre retraite de manière anticipée fin août 2011?
Avant de partir, j’ai plaidé pour que le contrat avec Eiffage soit renégocié. Je m’appuyais sur les conclusions d’un rapport de l’inspection générale des finances montrant qu’il était possible de résilier le contrat pour motif d’intérêt général. Cela revenait à dire à Eiffage : vous n’êtes pas en faute mais ce genre de contrat ne peut pas convenir pour faire tourner un hôpital. Le service public doit reprendre ses droits. Compte tenu des nombreuses malfaçons et comme le déménagement n’avait pas encore eu lieu, l’État et/ou des collectivités locales étaient en position de force pour racheter l’hôpital en proposant au groupe de BTP un dédommagement raisonnable.

Pourquoi les négociations avec Eiffage n’ont-elles pas commencé à ce moment-là?
Xavier Bertrand, le ministre de la Santé de l’époque, a voulu ouvrir coûte que coûte. Cela a peut-être à voir avec l’influence des groupes de BTP au plus haut sommet de l’État. On m’a fait comprendre que j’étais un gêneur, que je devais me soumettre ou me démettre. Maintenant que l’hôpital a ouvert, que son déficit se creuse, que ce trou plombe d’autres projets sanitaires, j’apprends qu’on veut enfin renégocier. Bonne chance : les marges de manoeuvre sont minces. On peut espérer récupérer la maintenance de l’hôpital mais à un coût très supérieur à ce que l’on aurait pu obtenir il y a un an et demi.

Aujourd’hui au tiers vide, l’hôpital d’Évry (110.000 m²) est-il trop grand?
C’est son autre pêché originel : ses dimensions pharaoniques. Mais maintenant qu’il est ouvert, pourquoi ne pas réorganiser l’offre de soins dans le sud de l’Île-de- France de façon à le faire tourner plus? Au lieu de cela, les tutelles poussent à la création d’un autre grand hôpital à Melun. Je crains que ce ne soit un nouvel exemple de mauvaise gestion politique en matière hospitalière.
Anne-Laure Barret - Le Journal du Dimanche
dimanche 03 mars 2013

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